RDC-L’honneur à l’épreuve de la réalité: les géants politiques congolais qui défient la pyramide de Maslow !

La scène politique de la République démocratique du Congo, par sa fluidité et sa complexité intrinsèque, présente un phénomène unique et paradoxal qui interpelle les théories classiques de la motivation humaine, notamment la célèbre pyramide de Maslow. Contrairement à la logique linéaire d’ascension hiérarchique souvent observée dans d’autres démocraties, la RDC est le théâtre de parcours politiques où des figures ayant atteint les sommets du pouvoir acceptent de reprendre du service à des postes de rang inférieur à ceux qu’ils occupaient par le passé.
Cette particularité, loin d’être anecdotique, soulève des questions fondamentales sur le sens de l’honneur, la nature de l’engagement public et les motivations profondes des acteurs politiques congolais. Elle invite à une réévaluation des besoins d’estime et de réalisation de soi, suggérant que dans ce contexte spécifique, la pertinence, la survie politique et la capacité à continuer d’influencer peuvent primer sur le simple titre ou la position protocolaire la plus élevée.

Le fait que de tels exemples soient légion en RDC n’est pas une simple coïncidence ; il s’agit d’une caractéristique structurante du système politique.
On observe que des personnalités comme Modeste Bahati Lukwebo, qui a récemment occupé la fonction éminente de président du Sénat et qui est aujourd’hui premier vice-président de la même institution, ou encore Christophe Mboso N’Kodia Pwanga, ancien président de l’Assemblée nationale et désormais deuxième vice-président, ne sont pas des cas isolés.
Ces trajectoires, qui pourraient être perçues comme des rétrogradations ailleurs, sont intégrées et acceptées, bousculant nos préconceptions sur l’ambition politique.
Mais au-delà de ces figures emblématiques des chambres législatives, ce phénomène se retrouve à d’autres niveaux de l’appareil d’État.
Des anciens Premiers ministres qui redeviennent simples députés, des ex-ministres d’État qui acceptent des portefeuilles ministériels moins prestigieux ou même des postes de conseillers, ou encore des anciens gouverneurs de province qui réintègrent l’Assemblée nationale comme simples parlementaires.
Chaque cas illustre une flexibilité et une capacité d’adaptation qui déroutent l’observateur habitué aux rigidités des hiérarchies occidentales.
Cela force à examiner de plus près ce qui motive ces hommes et ces femmes d’État : est-ce une forme de pragmatisme nécessaire pour maintenir une influence, un acte de service désintéressé, ou la manifestation de besoins socio-politiques ancrés dans les réalités congolaises ?
La réponse, sans doute multiple, est cruciale pour quiconque cherche à déchiffrer les arcanes d’une politique où les parcours ne sont jamais linéaires et où l’honneur se conjugue avec des impératifs complexes de survie et de pertinence.

LE SPECTRE DE MASLOW FACE AUX RÉALITÉS CONGOLAISES – SÉCURITÉ, INFLUENCE ET RÉINVENTION DE SOI

La théorie de la hiérarchie des besoins d’Abraham Maslow, qui postule que les individus cherchent d’abord à satisfaire leurs besoins physiologiques, puis de sécurité, d’appartenance, d’estime, et enfin de réalisation de soi, est un outil puissant d’analyse. Cependant, son application rigide au contexte politique congolais révèle des nuances fascinantes.
Pour des figures qui ont déjà atteint le sommet de la pyramide protocolaire – la présidence d’une institution clé ou un ministère de souveraineté – on pourrait logiquement penser que leurs besoins d’estime et de réalisation sont comblés, et qu’une « descente » serait inacceptable.
Pourtant, ils acceptent.
Que motive ce choix, et comment comprendre ces « genres d’individus » ?

Plusieurs facteurs, souvent entremêlés, peuvent expliquer cette particularité. D’abord, le besoin de sécurité (économique et politique) reste un moteur puissant. Dans un pays où les fortunes politiques peuvent basculer rapidement et où l’absence de position officielle peut signifier une marginalisation économique et sociale, le maintien dans l’appareil d’État, même à un rang moindre, peut garantir une source de revenus stable, des avantages liés à la fonction, et une protection contre les aléas politiques.
La sécurité de l’emploi et l’accès aux réseaux d’influence peuvent ainsi primer sur la hauteur du titre. Ensuite, le besoin d’appartenance et de reconnaissance sociale prend une dimension particulière.
Dans la culture politique congolaise, faire partie du « cercle du pouvoir » – même en position subalterne – confère un prestige et une capacité d’influence qui peuvent surpasser la simple étiquette protocolaire.
Être un conseiller écouté, un député influent sur les dossiers législatifs, ou un vice-président ayant un poids réel dans les décisions de sa chambre, peut être perçu comme une forme de « réalisation » différente, mais tout aussi significative, que celle d’une présidence purement nominale.
Le véritable honneur résiderait alors dans la capacité à continuer d’exercer une influence significative, à servir ses mandants ou sa famille politique, et à rester au cœur des dynamiques de pouvoir, plutôt que de s’accrocher à un titre honorifique sans substance.

Par ailleurs, le pragmatisme politique joue un rôle essentiel.
Dans un système où les alliances sont souvent fluides et les majorités évolutives, l’acceptation d’un poste inférieur peut être une stratégie calculée pour maintenir une présence active, rester en phase avec la nouvelle majorité, ou attendre un retour en force lors d’une reconfiguration future.
C’est une forme de résilience politique, une capacité à « faire le dos rond » et à se réinventer pour continuer à servir et à exister dans l’arène publique.
Des figures comme Vital Kamerhe, qui après avoir été président de l’Assemblée nationale a connu des revers politiques et judiciaires avant de revenir comme vice-premier ministre, puis de retrouver le perchoir de l’Assemblée nationale, illustrent cette capacité unique à la réinvention et à la survie politique.
De même, des anciens ministres qui se retrouvent « simples » députés nationaux après avoir quitté le gouvernement, comme on en a vu lors des dernières législatives, choisissent souvent de conserver un siège au Parlement comme point d’ancrage politique et pour continuer à peser sur la législation.
Ces parcours démontrent que la « réalisation de soi » dans le contexte congolais n’est pas une destination fixe au sommet, mais un processus continu d’engagement, d’adaptation et de maintien de l’influence, où l’honneur se manifeste par la loyauté à la nation et la persévérance dans le service public, quelle que soit la position.

L’ADAPTABILITÉ, LA LOYAUTÉ ET L’HÉRITAGE DES SERVITEURS DE L’ÉTAT EN RDC

L’acceptation de ces « rétrogradations » apparentes par des figures politiques de haut rang en RDC n’est pas seulement une anecdote sociologique ; elle a des implications profondes pour la gouvernance et la culture politique du pays.
D’une part, cela peut être perçu comme une marque d’une « maturité politique et d’un patriotisme certain », où l’intérêt supérieur de la nation et la stabilité des institutions priment sur les vanités personnelles.
Le fait de demeurer au service de l’État, même dans une position de moindre éclat, peut être interprété comme une preuve de dévouement et une volonté de contribuer, coûte que coûte, au fonctionnement de l’État.
Cette approche suggère une redéfinition de l’honneur, non plus par l’exclusivité d’un titre suprême, mais par la continuité du service et la capacité à apporter une contribution significative, peu importe la place dans l’organigramme.

D’autre part, cette flexibilité exceptionnelle soulève également des questions complexes sur la nature des allégeances et l’indépendance de ces acteurs politiques.
Dans certains cas, l’acceptation d’un poste « inférieur » peut être le fruit de négociations politiques intenses, dictées par la nécessité de s’aligner avec une nouvelle majorité pour éviter une marginalisation totale, voire une mise à l’écart définitive de la scène politique.
Cela pourrait révéler une culture politique où la survie politique et le maintien d’une influence dans l’appareil d’État sont des objectifs prédominants, parfois au détriment d’une opposition franche ou d’une rupture idéologique claire. Cependant, il est également plausible que ces figures, riches de leur expérience et de leur expertise accumulées aux plus hauts niveaux, estiment pouvoir toujours apporter une valeur ajoutée substantielle à la nation, même dans un rôle moins exposé ou moins décisionnel directement.
La capacité de ces « géants politiques » à rester pertinents, à naviguer les arcanes du pouvoir et à continuer à peser sur le destin du pays, malgré les changements de position, est une caractéristique singulière de la scène politique congolaise.
Elle nous invite à dépasser les schémas d’analyse simplistes et à embrasser la complexité des motivations qui animent ces acteurs. Leurs parcours atypiques ne sont pas juste des anomalies ; ils sont le reflet d’une réalité politique où l’adaptabilité, la loyauté, le pragmatisme et un sens particulier de l’honneur se conjuguent pour façonner l’héritage des serviteurs de l’État, dans un pays en perpétuelle quête de stabilité et de développement.
Que dire de Jean-Pierre Bemba ?
Vice-président de la République sous Joseph Kabila Kabange, puis vice-premier ministre sous Félix-Antoine Tshisekedi ; d’abord dans un ministère régalien (Défense), ensuite dans un autre inférieur (Transport) !

David MUTEBA KADIMA

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